Épisode 20: Enfant de salaud – Sorj Chalandon renferme le „grand livre“ du père

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Épisode 20: Enfant de salaud - Sorj Chalandon renferme le "grand livre" du père
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Contrairement à l’Allemagne, il me semble superflu de présenter Sorj Chalandon aux lecteurs/lectrices français.es. En tant que reporter, chroniqueur, rédacteur et contemporain engagé, il est présent dans la vie publique et, avec dix romans à ce jour, il a en outre créé une œuvre littéraire complexe ; une œuvre qui a été récompensée par des prix et nominée à plusieurs reprises pour le Prix Goncourt.

Ce que l’on ressent à la lecture comme dans la conversation avec l’auteur, c’est qu’il incarne ce qu’il écrit et qu’il sait raconter avec sincérité. Il est quelqu’un qui s’investit à fond dans ses sujets et qui sait quelles sont les épreuves qui font grandir ou échouer les hommes, voire les personnages. Il renonce aux observations psychologisantes ou aux classifications, il y a un côté direct qui vous prend immédiatement. Il écrit des dialogues pointus, parfois drôles, il émeut aux larmes parce qu’il regarde de près ce qui fait mal. Il est en colère et dévoile toutes les demi-vérités et les mensonges.

Avec son roman Enfant de salaud, Sorj Chalandon s’est libéré d’un grand fardeau – il a renfermé “le grand livre du père”. Il ne va plus „rouvrir la tombe“ et constate qu’il a dû écrire ce roman autofictionel pour être capable de repartir dans la fiction pure et „d’être quelqu’un d’autre, dans un autre lieu, dans un autre monde“.

Romans de Sorj Chalandon (un choix):

Enfant de salaud. Grasset, Paris 2021

Une joie féroce. Grasset, 2019

Le Jour d’avant. Grasset, 2017

Profession du père. Grasset, 2015

Le quatrième mur. Grasset, 2013

Retour à Killybegs. Grasset, 2011

La légende de nos pères. Grasset, 2009

Épisode 19: „Je suis un lieu“ – un entretien avec Marina B. Neubert 

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Épisode 19: "Je suis un lieu" - un entretien avec Marina B. Neubert 
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Enfant, Marina B. Neubert a vécu à L’viv, adolescente à Moscou, adulte, elle a pris racine à Berlin. Mais depuis qu’elle a enseigné la littérature allemande à l’Université hébraïque en tant que chargée de cours du DAAD, elle se rend à Jérusalem aussitôt que possible. Elle y travaille sa prose et apprécie de traquer les significations des mots, les sons et les associations qui apparaissent dans les interstices des nombreuses langues que Marina B. Neubert parle. Ses romans Kaddisch für Babuschka et Was wirklich ist témoignent de sa passion pour l’ambiguïté de la langue et le sens du temps marqué par le judaïsme. Dans la Torah, dit-elle, il n’y a ni passé, ni présent, ni futur, et pourtant nous sommes confrontés à tous les temps. Marina B. Neubert remet en question de manière conséquente la narration linéaire et nos classifications habituelles de causes et d’effets.

Jérusalem est aussi le lieu où Miléna Kartowski-Aïach, chanteuse, metteure en scène, auteure dramatique et poétesse de 33 ans, est en train de s’enraciner. En été 2021, elle a quitté Paris, sa ville natale, pour immigrer en Israël – comme l’ont fait les années précédentes des milliers de juives et juifs français qui ne se sentaient plus suffisamment vus, compris et protégés en France. Elle nous lit son poème La larme-prière.

Un très grand merci à l’amie Ruth Kinet qui a lu la traduction de l’entretien avec Marina B. Neubert.

Droits d’auteur de la photographie: Sharon Adler / Pixelmeer

Livres de Marina B. Neubert:

Was wirklich ist, Roman, Aviva Verlag, Berlin 2022

Kaddisch für Babuschka, Roman, Aviva Verlag, Berlin 2018

Bella und das Mädchen aus dem Schtetl. Illustrationen Lina Bodén. Ariella Verlag, Berlin 2015

Miléna Kartowski-Aïach: Leros. Un exil insulaire chez les damnés. Oratoire. Sicania, 2019

La forêt pour horizon, dans Chimères 2020/2 (N° 97), pages 271 à 274

Épisode 18: „La somme de tout“ et „Planète sans visa“

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Épisode 18: "La somme de tout" et "Planète sans visa"
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„La somme de tout“ et „Planète sans visa“

Le 29 septembre 2022, le premier roman de Steven Uhly, Ma vie en aspic (2010), a été présenté pour la première fois au Deutsches Theater Berlin sous la forme d’une pièce à deux personnages. Les acteurs sont les protagonistes d’un clan fictif. Un jeune homme découvre une série interminable de violations de tabous allant jusqu’au grotesque. L’essentiel est que tout reste dans la famille.

L’essentiel, c’est que tout reste dans l’Église catholique, pourrait-on dire après la lecture du dernier ouvrage d’Uhly. On peut aussi parfaitement imaginer La Somme de tout comme une pièce à deux voix. Le livre traite des abus pédophiles, de la culpabilité et de la repentance, des obsessions et de la perte de contrôle. Et du pouvoir des mots. Ils excitent et peuvent servir à se disculper de manière autosuggestive d’actes criminels. Les lieux de l’action du roman sont „la Rome du monde hispanophone“, la ville de Madrid, et un confessional dans la banlieue Hortaleza. Une sorte de demi-monde, dit Uhly, „un purgatoire“.

Planète sans visa de Jean Malaquais est une épopée monumentale sur les tentatives désespérées d’exilés de monter sur un bateau à Marseille et de quitter l’Europe vivants en 1942. Si ce chef-d’œuvre oublié de la littérature d’exil de 640 pages est désormais disponible pour la première fois en allemand, 75 ans après sa première publication en français, c’est grâce à l’engagement de la traductrice Nadine Püschel et des éditions Nautilus.

L’écrivain est né en 1908 à Varsovie sous le nom de Wladimir Malacki. A 17 ans, il en a eu assez de l’étroitesse de son milieu. Après avoir traversé la Roumanie, la Turquie, la Palestine et l’Égypte, il arrive à Marseille, puis à Paris. Il survit grâce à de petits boulots, commence à écrire, fait la connaissance d’André Gide et choisit le nom d’artiste de Jean Malaquais. Après avoir fui la France, Malaquais a survécu à la Seconde Guerre mondiale au Venezuela, au Mexique et aux États-Unis.

Les romans de Steven Uhly ne sont pas encore traduits en allemand. Voir la liste de ses livres dans l’épisode allemand

Livres de Jean Malaquais (un choix)

Les Javanais, Éditions Denoël, Paris, 1939.

Journal de guerre, Éditions de la maison française, New York, 1943

Planète sans visa, Le pré aux clercs, Paris, 1947

Planète sans visa, Éditions Phébus, Paris, 1999

Correspondance (1935–1950) by André Gide and Jean Malaquais, Éditions Phébus, Paris, 2000

Épisode 17: Père inconnu, mère un secret – Entretien avec Marie-Hélène Lafon à propos de son roman „Histoire du fils“

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Épisode 17: Père inconnu, mère un secret – Entretien avec Marie-Hélène Lafon à propos de son roman "Histoire du fils"
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Il y a deux ans j’ai produit une émission radiophonique au Deutschlandfunk Kultur sur l’image du monde paysan dans la littérature contemporaine française. Les romans La gloire des Pythre et L’amour des trois sœurs Piale de Richard Millet y trouvaient leur place, ainsi que la saga Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo, Une bête au paradis de Cécile Coulon, Pays perdu de Pierre Jourde et de Marie-Hélène Lafon ses romans L’annonce, Les derniers indiens, Nos vies.

Dans sa littérature, Marie-Hélène Lafon évoque la solitude des agriculteurs qui s’enfoncent dans la pauvreté. Ils sombrent dans la détresse, convaincus d’être les derniers Indiens. Frères et sœurs vieillissent souvent ensemble, non mariés et sans héritiers, dans des fermes qui tombent en ruine. Dans le monde paysan l’écrivaine découvre des désirs qui constituent le substrat de la tragédie humaine. Personne n’y échappe. Pour Marie-Hélène Lafon c’est une « tragédie jubilatoire ». De ces paysans silencieux et obstinés à endurer elle dit qu’ils « préfèrent crever la gueule ouverte plutôt que de changer ». C’est un jugement tranchant, mais elle sait de quoi elle parle.

Marie-Hélène Lafon a grandi en Auvergne – au plateau volcanique du Cézallier. La ferme de ses parents se trouvait au milieu d’un terrain de 33 hectares, à 1000 m d’altitude. Elle est partie tôt pour passer son bac dans une petite ville à 60 km de sa maison et elle était très jeune quand elle a commencé à enseigner le grec et le latin à Paris. Elle le fait toujours encore.

Le 7 juillet 2022, Ulrike Schneider, professeure à l’Institut de philologie romane, avait invité Marie-Hélène Lafon à la Freie Universität de Berlin pour une lecture de son roman « Histoire du fils », Prix Renaudot en 2021. J’avais le plaisir de modérer la conversation sur Histoire du fils à l’Université libre.

Marie-Hélène Lafon lit des extraits de son roman:

27:45 – 34:16 ; 42:40 – 44:58, 59:31 – 1:04:32

Livres de Marie-Hélène Lafon (un choix)

Histoire du fils, roman, Buchet Castel, 2021

Le pays d’en haut. Entretiens avec Fabrice Lardreau, éds. Arthaud. 2019

https://www.arthaud.fr/le-pays-den-haut/9782081443839

Nos vies, roman, Buchet Castel, 2017

Joseph, roman, Buchet Castel, 2014

Les pays, roman, Buchet Castel, 2012

L’annonce, roman, roman, Buchet Castel, 2009

Les derniers Indiens, roman, Buchet Castel, 2008

Épisode 16: „Et que tu ne sois pas trop gentil!“ – Entretien avec Gregor Sander à propos de son roman Lenin auf Schalke

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Épisode 16: "Et que tu ne sois pas trop gentil!" – Entretien avec Gregor Sander à propos de son roman Lenin auf Schalke
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Je peux écrire ce que je veux, dit le narrateur du roman Lenin auf Schalke, les Allemands de l’Ouest vont toujours faire remarquer que l’auteur, c’est un gars de l’Est. Le narrateur du roman s’appelle Gregor Sander. Et le vrai Gregor Sander lui a assigné le rôle d’écrivain. Ceci dit, il faut s’attendre à un jeu bien subtil et amusant. Biensûr qu’on est tenté d’identifier l’auteur avec son personnage romanesque et de croire que les copains du narrateur ont raison de lui reprocher qu’il a toujours évité d’explorer la moitié ouest du pays. Depuis 1989, dit l’ami Schlüppi (la culotte), «ceux de l’Ouest ont tourné ceux de l’Est comme des escalopes dans une poêle», et il faut que ça s’arrête. L’ami Schlüppi définit la mission: «Gregor, tu dois enfin mettre de l’ordre à tout ça». Et où donc? À Gelsenkirchen, la ville la plus pauvre d’Allemagne. Car c’est là, au cœur de la Ruhr, où l’on a trimé pour le miracle économique et que plus tard les Allemands de l’Ouest l’ont eux-mêmes conduit dans le mur.

Une des forces de l’écrivain Gregor Sander est la légèreté avec laquelle il note ses observations. Il a appris à écouter, à regarder de bien près et à repérer les lieux où l’histoire prend tout son sens. Il aime changer les perspectives. Après la chute du mur le journal satirique Titanic mettait sur sa couverture la photo d’une jeune femme appelée «Zonen-Gaby». Gaby de la «zone-Est» tenait une courgette épluchée dans ses mains: «Ma première banane». L’apparence de Gaby – cheveux avec permanente, en jeans démodé, des larmes de bonheur aux yeux – faisait rire toute l’Allemagne de l’Ouest. Gregor Sander fait de la «Zonen-Gaby» une Allemande de l’Est qui se moque des Ouest-Allemands : Elle se dit performeuse historique.

Gregor Sander, c’est clair, ne se moque pas de la vie des «Pottler», des gens natifs de la Ruhr. Il demande à son ami Schlüppi : «Qu’est-ce que je fais quand j’ai pitié avec ces gens?» Celui-ci lui répond sans hésiter: «Tu ne penses alors qu’à la Treuhand. Comment ils ont tout fermé chez nous jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Alors tu dis trois fois : Treuhand, Treuhand, Treuhand».1

1La Treuhandanstalt devait restructurer entre 1990 et 1994 l’économie est-allemande. Les entreprises de la RDA ont été privatisées ou fermées.

Merci à Didier Laget qui a lu les paroles de Gregor Sander.

 

Livres de Gregor Sander (un choix)

Lenin auf Schalke. Roman. Penguin Verlag, München 2022

Alles richtig gemacht. Roman. Penguin Verlag (2019)

Tagebuch eines Jahres. Mit Audio-CD des Rundfunk-Features Während ich schrieb, Wallstein Verlag

Was gewesen wäre. Roman. Wallstein Verlag, Göttingen 2014

Retour à Budapest. Traduit de Nicole Thiers. Quidam éditeurs, 2019

L’adaptation cinématographique du roman est sortie en novembre 2019. Gregor Sander a écrit le scenario. Florian Koerner von Gustorf a réalisé le film.

Winterfisch. Erzählungen, Wallstein Verlag, Göttingen 2011

Épisode 15: Les libraires sont des cultivateurs – Une visite de la librairie Zadig à Berlin et une brève conversation avec Leïla Slimani

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Épisode 15: Les libraires sont des cultivateurs – Une visite de la librairie Zadig à Berlin et une brève conversation avec Leïla Slimani
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Les libraires sont des cultivateurs – Une visite de la librairie Zadig à Berlin et une brève conversation avec Leïla Slimani

„Les musées continuent de m’apparaître comme des lieux écrasants, des forteresses dédiées à l’art, à la beauté, au génie et où je me sens toute petite“, confesse Leïla Slimani dans son essai autobiographique Le parfum des fleurs la nuit. En avril 2019, elle a pourtant passé une nuit dans un musée d’art contemporain à Venise. Au XVIIe siècle, la Dogana avait été construite pour servir de douane – toutes les marchandises qui ciculaient entre l’Orient et l’Occident passaient pas là. Depuis 2009, l’entrepreneur français François Pinault présente sa collection d’art moderne dans la Dogana.

L’idée de pouvoir y déambuler tout seule, sans être dérangée, et de passer la nuit à écrire et à rêver a convaincu Leïla Slimani de partir à Venise et de contribuer un essai autobiographique à la série „Ma nuit au musée“. Elle parle des contraintes qu’elle s’impose et de ce que les arts nous enseignent et nous offrent. Le livre est dédié à l’ami Salman Rushdie. De lui Leïla Slimani a appris „qu’on n’est pas obligé d’écrire au nom des siens“ – comme d’ailleurs qu’on ne pouvait pas écrire « sans envisager la possibilité de trahir, sans dire ces vérités que l’on cache depuis l’enfance ».

 

En 2003, Patrick Suel a fondé la librairie française Zadig à Berlin-Mitte afin de créer „un espace pour l’avant-garde littéraire“ – et en reconnaissance de sa performance de libraire, il a été décoré de l’Ordre des Arts et des Lettres. Leïla Slimani s’est présentée – comme beaucoup d’autres écrivains et écrivaines – dans la Linienstrasse pour rencontrer, selon Patrick Suel, le „public berlinois bien particulier“ de son lieu de livres. Depuis 2019, Zadig a un nouveau domicile au 12 de la Gipsstraße, à quelques centaines de mètres de la « cellule primaire ». Il y a là une terrasse donnant sur la cour intérieure qui relie le magasin aux Sophien-Gipshöfe et qui peut être utilisée pour des événements. Après deux ans d’abstinence, le temps est venu de lancer des invitations. Patrick Suel et ses collaboratrices prévoient un programme de lecture et d’autres publications propres : des anthologies de poésie et la revue annuelle Lointain intérieur. Enfin, Patrick Suel pratique ce qui était courant à l’époque des Lumières: les libraires étaient aussi des éditeurs. En avant Zadig et bravo!

 

Merci à Barbara Wahlster et Christian Ruzicska qui ont lu les traductions des entretiens.

 

Zadig, Gipsstraße 12, 10119 Berlin-Mitte, Tel. 030-280 999 05

 

 

Un choix de livres de Leïla Slimani :

Le Pays des autres 2: Regardez-nous danser. Éditions Gallimard, Paris 2022

Le parfum des fleurs la nuit. Éditions Stock, Paris, 2021

Le Pays des autres 1: La guerre, la guerre, la guerre. Éditions Gallimard, Paris 2020

Le diable est dans les détails, nouvelles, l’Aube, 2016

Chanson douce, roman, Gallimard, 2016

Dans le jardin de l’ogre, roman, Gallimard, 2014

 

Épisode 14: Des ailes au loin – entretien avec Jadd Hilal

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Épisode 14: Des ailes au loin - entretien avec Jadd Hilal
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Des ailes au loin – entretien avec Jadd Hilal

La nostalgie du Liban ne cesse de saisir Jadd Hilal. Une partie de sa famille y vit, autres membres proches vivent en Jordanie, en Suisse et en France. Même si le Liban, comme il explique, lui échappe toujours, cela n’affecte point le désir d’y retourner. Il se compare à un enfant qui voit des oiseaux au loin et qui tend la main dans l’espoir de pouvoir les toucher. L’enfant n’y parviendra jamais mais ne cesse de tendre la main vers eux.

Jadd Hilal est né en 1987 près de Genève. Il a étudié la littérature anglaise en Écosse et a obtenu son doctorat à la Sorbonne en été 2021. Ses deux premiers romans ont été publiés par l’une des plus prestigieuses maisons d’édition tunisiennes, les Éditions Elyzad. Son début littéraire, Des ailes au loin, a été récompensé par trois prix. La traduction allemande Flügel in der Ferne était sélectionnée pour le Prix Première 2022.

J’ai rencontré l’écrivain, qui enseigne l’anglais à Paris, dans un café après la fin des cours de lycée. Il m’a raconté qu’il lui avait été facile d’écrire son roman d’un point de vue exclusivement féminin. C’était pourtant un pari risqué, car les quatre protagonistes sont sa mère, sa grand-mère, sa sœur et sa niece. Leurs expériences de départ et d’exil, au Proche-Orient comme en Europe, relie ces quatre femmes. Jadd Hilal a trouvé sa place dans sa famille dispersée grâce à l’écriture. Il n’est pas un „acteur“, mais un „conteur“ –  un narrateur qui va nous surprendre, j’en suis sûre, avec ses futurs livres.

 

Livres de Jadd Hilal:

Une baignoire dans le désert. Roman. Éditions Elyzad, Tunis 2020

Des ailes au loin. Roman. Éditions Elyzad, Tunis 2018

Oasis. Nouvelles. Maison de la fiction, Brignais, 2016

Le coup de cœur de Leïla Slimani:

Abdellah Taïa: Vivre à ta lumière, Éditions du Seuil, Paris 2022

Épisode 13: Poisson le matin, oiseau le soir, arbre toute la journée. In memoriam Etel Adnan.

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Épisode 13: Poisson le matin, oiseau le soir, arbre toute la journée. In memoriam Etel Adnan.
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“Poisson le matin, oiseau le soir, arbre toute la journée”

In memoriam Etel Adnan

Lorsque j’ai rencontré la poétesse et peintre américano-libanaise Etel Adnan pour la première fois à Paris en mai 2006, elle était encore largement inconnue. À l’époque je ne connaissais pas plus que ses livres Paris mis à nue et Au cœur du cœur d’un autre pays. Quelle que soit la page que j’ouvrais, j’étais toujours captivée par sa manière à la fois directe et intime d’exprimer une pensée ou une perception. Elle écrivait sur le soleil de l’enfance qui „reste jeune à jamais“, sur la recherche d’un climat qui donne le sentiment d’un renouveau, sur les femmes du village qui brodent des roses pour arrêter la mémoire et la pensée, elle parlait d’une „nature sauvage déroutante“. Et jouait en même temps si intelligemment avec le livre de l’écrivain américain William C. Gass, Au cœur d’un autre pays.

Dans son recueil, Gass avait inventé une ville imaginaire dans l’État de l’Indiana, appelée „B“. Chez Etel Adnan, „B“ est devenu Beyrouth. Un extrait :

Lieu

Ainsi, j’ai parcouru les mers, et suis …

                                                           … venue à B…

une ville du bord de mer, au Liban. Dix-sept ans plus tard. Mon absence était l’exil d’un exil. Je fais partie de ces gens qui font toujours ce que quelqu’un d’autre fait … mais quelques semaines avant. Un poisson dans une mer chaude. Pas de maison comme abri mais un lit de maison en maison et des vêtements froissés sur une seule étagère. Je cherche l’amour. 

Fils métalliques

Il y en a peu, et, puisqu’il n’y a pas d’arbres à Beyrouth, les pylônes sont morts, tels des semblants géométriques d’arbres. Des archétypes morts. Quant aux oiseaux, les chasseurs libanais les ont tous abattus. Maintenant ils tuent aussi les oiseaux syriens.

Eglise

Nous avons des églises, des mosquées, et des synagogues. Toutes vides la nuit sans exception. Le week-end beaucoup de mouches désertent leurs jardins. Les gens y entrent.

 

Le fossé entre la réalité de Beyrouth d’avant-guerre et celle d’une ville de province américaine n’en est que plus évident. Etel Adnan a achevé le manuscrit en 1997 et complété en 2003 par le texte Vivre en temps de guerre.

En 2012, lors de la documenta 13 organisée par Carolyn Christov-Barkagiev, l’œuvre picturale d’Etel Adnan a soudain été perçue au niveau international. Ses tableaux aux couleurs vives représentant des déserts, des soleils et des trous d’eau ont fait sensation. Des galeristes et des directeurs de musées voulaient exposer son art en Europe et aux États-Unis. À Kassel, elle m’a racontée qu’il y avait eu de longues périodes où elle n’avait pas écrit un seul mot – et qu’elle préférait la peinture parce que peindre était un acte primitif et parce que la couleur ne lui imposait pas d’associations. „J’écris ce que je vois et je peins ce que je suis“ : c’est ainsi qu’Etel Adnan a résumé les deux expériences fondamentales de son existence artistique.

Les phénomènes météorologiques et les éclats de lumière la fascinaient. Les formations de nuages et les variations de température, elle en était convaincue, orientent imperceptiblement nos pensées, comme une brise. La littérature d’Etel Adnan peut être comprise comme une tentative de sauver la vie – en l’exaltant de manière poétique et en la dessinant avec plus d’acuité – après coup. C’est dans la peinture qu’elle a cherché et trouvé le bonheur.

Livres d’Etel Adnan (une sélection):

  • Fil du temps, Galerie Lelong, 2021
  • Je suis un volcan, Galerie Lelong, 2021
  • L’Express Beyrouth-Enfer, Galerie Lelong, 2021L’Apocalypse arabe, Galerie Lelong, 2021
  • Voyage, guerre, exil, L’Échoppe, 2020
  • Un printemps inattendu (entretiens), Galerie Lelong, 2020
  • Grandir et devenir poète au Liban, L’Échoppe, 2019
  • Surgir, Éditions de l’Attente, 2019
  • Voyage au mont Tamalpais, éd. Manuella Éditions, 2013
  • Sitt Marie Rose, Paris, Des Femmes, 1978 ; rééd. Tamyras, 2010
  • Au cœur du cœur d’un autre pays, trad. Eric Giraud, Tamyras, 2010

 

Un avis:

Le livre Penses aux pierres sous tes pas (Éds. Verdiers, 2018) d’Antoine Wauters est en lice pour le prix Premiere.

Le 17 mars, de 19:00 – 20:30 vous pouvez écouter en livestream un entretien avec Antoine Wauters et son traducteur Paul Sourzac 

L’entretien peut être consulté après le 18 mars.

Jusqu’au 31 mars 2022 le public votera pour ses favoris (Pascal Jankovjak, Julia Kerninon ou Antoine Wauters) en ligne.

Épisode 12: „Nous avons besoin d’utopie. Et d’humanité“. Entretien avec Nils Trede, écrivain et médecin

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Épisode 12: "Nous avons besoin d’utopie. Et d’humanité“. Entretien avec Nils Trede, écrivain et médecin
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„Nous avons besoin d’utopie. Et de l‘humanité“ – Entretien avec Nils Trede, écrivain et médecin

Le 7 novembre 2021, la maison d‘édition Sécession a reçu le Grand Prix berlinois de l‘édition. À juste titre, car les éditeurs Christian Ruzicska et Joachim von Zepelin publient depuis des années des livres de dimension internationale unique. Des auteurs tels que Steven Uhly et Jérôme Ferrari leur sont fidèles malgré le souhait de plus grandes maisons d‘édition de les faire venir chez ells.

En 2012, le livre „La vie pétrifiée“ est paru aux éditions Sécession. Son auteur Nils Trede est Allemand mais vit depuis 1996 en France et il a écrit ce roman en français. En février 2021, Sécession a publié un nouveau livre de Nils Trede, cette fois-ci un texte en allemand. Ce texte de 80 pages seulement est d‘une grand intensité; il s‘agit du monologue intérieur d‘un homme momentanément sans emploi qui ne peut supporter l’inégalité des chances qu‘il constate partout autour de lui, même chez les enfants, et qui souffre de la manière dont la société se divise et se brutalise.

L‘auteur décrit son protagoniste comme un homme pur qui n‘a pas de mécanisme de défense. Tout se qui se passe autour de lui l’envahit et le touche. Il est incapable de regarder ailleurs, d‘ignorer, de refouler ce qui se passe ou bien de l‘idéaliser.

Le protagoniste cherche des solutions et trouve des arguments très plausibles pour son projet d‘héritage collectif qui consisterait à donner à chaque individu „100.000 euros à la naissance. Par amour. Donnés du fond du cœur. Même au dernier des pauvres diables. Simplement parce qu‘il existe. Parce que c‘est un être humain.“ Quand on accepte qu‘il faille en finir avec les privilèges transmis par la naissance, on se doit, selon Nils Trede, d‘adopter un nouveau langage, un langage qui vient directement du plus profond de l‘être humain.

Lorsque Nils Trede est venu faire des lectures à Berlin en novembre, nous en avons profité pour l‘interviewer. Il nous a dit combien la découverte de Paris, alors qu‘il était un jeune étudiant en médecine, l‘avait absolument comblé. Il vit maintenant depuis plus de dix ans avec sa famille à Strasbourg et écrit ses romans tantôt en allemand, tantôt en français.

Notre cœur bat ce mois-ci pour la première fois pour un livre audio: Kraft ist das, was ich brauche …Käthe Kollwitz und ihre Familie. Le journaliste David Dambitsch a interviewé des enfants et des petits-enfants de la sculptrice Käthe Kollwitz (1867-1945). Il lui ont parlé des pertes dont leur aïeule ne s‘était jamais remise – un fils pendant la première guerre et un petit-fils pendant la seconde guerre mondiale. Käthe Kollwitz se considérait elle-même comme „évolutionnaire et non pas révolutionnaire“ mais elle alla cependant en janvier 1919 à la morgue de Berlin pour y dessiner le socialiste Karl Liebknecht qu‘on venait d‘assassiner. Le chapitre sur les difficultés à conserver l‘héritage artistique de Käthe Kollwitz dans une collection nous a beaucoup intéressées,

Le livre audio est disponible au Musée Käthe Kollwitz de Berlin.

 

Livres de  Nils Trede:

Richtung Süden, Roman, Secession Verlag für Literatur, Berlin 2021

Le nœud coulant. Roman. Les Impressions Nouvelles, Bruxelles 2012

La vie pétrifiée. Roman. Quidam Éditeur, Paris 2008 

Épisode 11: L’école des filles – Pascale Hugues dresse le portrait d’un groupe de femmes et d’une génération sans étiquette

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Épisode 11: L'école des filles - Pascale Hugues dresse le portrait d’un groupe de femmes et d'une génération sans étiquette
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L’école des filles – Pascale Hugues dresse le portrait d’un groupe de femmes et d’une génération sans étiquette

Il y a des gens qui quittent leur pays natal et ne veulent plus jamais retourner y vivre, même s‘ils continuent de s‘y rendre souvent et de garder leurs amis ou de s‘en faire de nouveaux.

Une fois partis pour apprendre au contact d‘autres personnes, pour aiguiser leur vision des choses et leur manière de s‘appréhender eux-mêmes, ils restent à l‘étranger. Pascale Hugues a quitté Strasbourg pour Londres au début des années 80 et est ensuite allée à Bonn puis à Berlin. Elle était alors la correspondante de Libération, avant de devenir celle du Point et de travailler pour le quotidien berlinois Tagesspiegel. Elle est autrice de plusieurs ouvrages. Pour son livre La robe de Hannah, elle a reçu le Prix européen du livre et le Prix Simone Veil. Elle observe avec acuité le comportement des Allemands et analyse les différences de mentalités entre les Allemands et les Français. Elle attire l‘attention sur les points sensibles de l‘histoire du 20ème siècle. Telle l’histoire mouvementée de l‘Alsace et le statut précaire des Alsaciens allemands, sur lesquels elle s‘est penchée dans son livre Marthe et Mathilde.

Lors de ses déménagements, Pascale Hugues s‘est débarrassée de nombreux objets et cela n‘a jamais été un problème pour elle. Mais il y a deux choses qu‘elle a toujours précieusement gardées: un album de photos de ses années de primaire et un „album de poésie“ – un recueil de messages en vers que ses camarades de classe lui ont écrits en 1969. Ces deux objets ont servi de point de départ pour le nouveau livre de Pascale Hugues, L‘école des filles. Elle est partie à la recherche de ses anciennes camarades de classe de l‘école des filles Sainte-Madeleine du quartier de Krutenau à Strasbourg et a rencontré douze d‘entre elles. Elle voulait savoir ce qu‘elles étaient devenues, elles qui lui avaient écrit des vers chargés d‘injonctions telles que:

Sois la violette dans la mousse / Humble, pudique, immaculée / Et non pas la rose qui pousse / Seulement pour être admirée

Ou encore: Un jour tu trouveras deux chemins / L‘un sera recouvert de sable fin / L‘autre de pierres et de cailloux durs / Prends le moins beau, car / Il te conduira au Bonheur

Pascale Hugues dresse avec empathie et une subtile ironie le portrait d‘une génération de femmes qui n‘étaient pas les enfants du direct après-guerre et qui étaient „nées trop tard“ pour comprendre ce que la césure de mai ‘68 avait provoqué dans la vie de leurs aînés. Leur „cohorte démographique informe“ écrivait des vers aux accents masochistes dans l‘album de poésie, puis a été contrainte de travailler jeune pour gagner de quoi vivre et a dû renoncer à faire des études secondaires.

On comprend à la lecture de ce livre que cette génération „sans contours“ née en 1959 a néanmoins fait ses preuves. Pascale Hugues a réussi un coup de maître: son portrait de groupe est chargé d‘affection et de loyalité pour ces femmes sans pour autant masquer les différences qui existaient en continuent d’exister entre les anciennes camarades de classe. Et cela ne nuit en aucun cas à leur amitié, qui, après tant d‘années, a connu une belle renaissance.

 

Livres de Pascale Hugues:

L’école des filles, Les arènes, 2021, Paris

Was ist das? Chroniques d‘une Française à Berlin, Les arènes, Paris 2017

La robe de Hannah, Berlin 2014, Les arènes, Paris 2014

Marthe et Mathilde, l‘histoire vraie d‘une incroyable amitié, 1902-2001, Les arènes, Paris 2009

Le bonheur allemand, Éditions du Seuil, Paris 1998

 

Coup de cœur:

Barbara Honigmann: Unverschämt jüdisch. Carl Hanser Verlag, München, August 2021