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Épisode 13: Poisson le matin, oiseau le soir, arbre toute la journée. In memoriam Etel Adnan.
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“Poisson le matin, oiseau le soir, arbre toute la journée”

In memoriam Etel Adnan

Lorsque j’ai rencontré la poétesse et peintre américano-libanaise Etel Adnan pour la première fois à Paris en mai 2006, elle était encore largement inconnue. À l’époque je ne connaissais pas plus que ses livres Paris mis à nue et Au cœur du cœur d’un autre pays. Quelle que soit la page que j’ouvrais, j’étais toujours captivée par sa manière à la fois directe et intime d’exprimer une pensée ou une perception. Elle écrivait sur le soleil de l’enfance qui „reste jeune à jamais“, sur la recherche d’un climat qui donne le sentiment d’un renouveau, sur les femmes du village qui brodent des roses pour arrêter la mémoire et la pensée, elle parlait d’une „nature sauvage déroutante“. Et jouait en même temps si intelligemment avec le livre de l’écrivain américain William C. Gass, Au cœur d’un autre pays.

Dans son recueil, Gass avait inventé une ville imaginaire dans l’État de l’Indiana, appelée „B“. Chez Etel Adnan, „B“ est devenu Beyrouth. Un extrait :

Lieu

Ainsi, j’ai parcouru les mers, et suis …

                                                           … venue à B…

une ville du bord de mer, au Liban. Dix-sept ans plus tard. Mon absence était l’exil d’un exil. Je fais partie de ces gens qui font toujours ce que quelqu’un d’autre fait … mais quelques semaines avant. Un poisson dans une mer chaude. Pas de maison comme abri mais un lit de maison en maison et des vêtements froissés sur une seule étagère. Je cherche l’amour. 

Fils métalliques

Il y en a peu, et, puisqu’il n’y a pas d’arbres à Beyrouth, les pylônes sont morts, tels des semblants géométriques d’arbres. Des archétypes morts. Quant aux oiseaux, les chasseurs libanais les ont tous abattus. Maintenant ils tuent aussi les oiseaux syriens.

Eglise

Nous avons des églises, des mosquées, et des synagogues. Toutes vides la nuit sans exception. Le week-end beaucoup de mouches désertent leurs jardins. Les gens y entrent.

 

Le fossé entre la réalité de Beyrouth d’avant-guerre et celle d’une ville de province américaine n’en est que plus évident. Etel Adnan a achevé le manuscrit en 1997 et complété en 2003 par le texte Vivre en temps de guerre.

En 2012, lors de la documenta 13 organisée par Carolyn Christov-Barkagiev, l’œuvre picturale d’Etel Adnan a soudain été perçue au niveau international. Ses tableaux aux couleurs vives représentant des déserts, des soleils et des trous d’eau ont fait sensation. Des galeristes et des directeurs de musées voulaient exposer son art en Europe et aux États-Unis. À Kassel, elle m’a racontée qu’il y avait eu de longues périodes où elle n’avait pas écrit un seul mot – et qu’elle préférait la peinture parce que peindre était un acte primitif et parce que la couleur ne lui imposait pas d’associations. „J’écris ce que je vois et je peins ce que je suis“ : c’est ainsi qu’Etel Adnan a résumé les deux expériences fondamentales de son existence artistique.

Les phénomènes météorologiques et les éclats de lumière la fascinaient. Les formations de nuages et les variations de température, elle en était convaincue, orientent imperceptiblement nos pensées, comme une brise. La littérature d’Etel Adnan peut être comprise comme une tentative de sauver la vie – en l’exaltant de manière poétique et en la dessinant avec plus d’acuité – après coup. C’est dans la peinture qu’elle a cherché et trouvé le bonheur.

Livres d’Etel Adnan (une sélection):

  • Fil du temps, Galerie Lelong, 2021
  • Je suis un volcan, Galerie Lelong, 2021
  • L’Express Beyrouth-Enfer, Galerie Lelong, 2021L’Apocalypse arabe, Galerie Lelong, 2021
  • Voyage, guerre, exil, L’Échoppe, 2020
  • Un printemps inattendu (entretiens), Galerie Lelong, 2020
  • Grandir et devenir poète au Liban, L’Échoppe, 2019
  • Surgir, Éditions de l’Attente, 2019
  • Voyage au mont Tamalpais, éd. Manuella Éditions, 2013
  • Sitt Marie Rose, Paris, Des Femmes, 1978 ; rééd. Tamyras, 2010
  • Au cœur du cœur d’un autre pays, trad. Eric Giraud, Tamyras, 2010

 

Un avis:

Le livre Penses aux pierres sous tes pas (Éds. Verdiers, 2018) d’Antoine Wauters est en lice pour le prix Premiere.

Le 17 mars, de 19:00 – 20:30 vous pouvez écouter en livestream un entretien avec Antoine Wauters et son traducteur Paul Sourzac 

L’entretien peut être consulté après le 18 mars.

Jusqu’au 31 mars 2022 le public votera pour ses favoris (Pascal Jankovjak, Julia Kerninon ou Antoine Wauters) en ligne.

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