
Épisode 30: La vie éblouissante et imparfaite d’un cygne noir – un entretien avec l’acteur Michael Evers sur son roman „Vinck. Jean-Marie Vinck“

Michael Evers avait 23 ans lorsqu’il a été engagé au Zürcher Theater am Neumarkt en 1969. Il a fait des études de lettres modernes, a poursuivi sa carrière d’acteur sur les scènes de Bâle, Cologne, Bonn, Hambourg et Berlin, a accepté des rôles à la télévision et a été pendant des décennies un narrateur très apprécié dans les productions de pièces radiophoniques, de reportages et de livres audio. En 2016, il a publié son premier roman Ortsfremde, et en 2023 le roman Vinck. Jean-Marie Vinck.
Dans son roman, Michael Evers aborde de questions essentielles : qu’est-ce qui me définit fondamentalement? D’où est-ce que je viens et où est-ce que j’appartiens? Où est-ce que je souhaite être? Qu’est-ce que j’ai fait de mal et de bien? Y-a-t-il des erreurs que je puisse réparer?
Il parle de conflits de générations; de personnes contraintes à l’exil et revenant dans leur pays d’origine, qui ne les accueille qu’à contrecœur; d’enfants qui se sentent exclus de la vie de leurs parents et de leurs grands-parents; d’amour, d’aveuglement et d’irresponsabilité, d’échecs et des efforts de se réconcilier avec ce que l’on est. „A la fin“, déclare Michael Evers lors de l’entretien, „Vinck devra accepter que les choses soient telles qu’elles sont. S’engager davantage ne mènera à rien“. Il se sent proche de George Tabori, homme de théâtre et fin connaisseur des hommes, qui savait que nous „échouons continuellement, échouons toujours, échouons encore, échouons mieux“.
Livres de Michael Evers:
Depuis quatre décennies, le journaliste radio et auteur de livres non fictionels David Dambitsch documente les parcours de personnes qui, au 20e siècle, ont été arrachées à leur cadre de vie familier, chassées et assassinées par la volonté d’extermination des nationaux-socialistes et par un ressentiment général profondément enraciné contre les juifs. Il le fait avec engagement et une grande empathie. David Dambitsch veut comprendre, éclairer, témoigner et préserver. Son dernier récit documentaire, qui retrace le destin de la famille de libraires juifs Samosch, originaire de Breslau (aujourd’hui Wroclaw) et apparentée à l’auteur, laisse entrevoir la capacité de l’auteur, aujourd’hui âgé de 65 ans, à persévérer et à s’imposer, car malgré le manque de coopération des services officiels, il a obtenu l’accès à des informations qui révèlent des mensonges et des vérités cachées. Et pourtant – c’est aussi l’expression de son honnêteté – il reconnaît dans la préface de son livre que, malgré des décennies de recherches, tout n’a pas pu être éclairé complètement : „C’était une époque confuse“.
Le père de David Dambitsch avait réussi à se cacher à Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale. Wil Dambitsch, qui avait 19 ans à la fin de la guerre, a parlé à son fils « d’amis abattus pendant la fuite », morts de faim et de peur ou parce que la cachette n’était pas sûre. « Beaucoup de choses », rappèle l’auteur, « n’étaient qu’évoquées, lui échappaient plus qu’il ne les décrivait vraiment“. A l’adolescence, David Dambitsch a décidé de combler les lacunes. Dans son dernier livre il raconte raconte son histoire personnelle – comme le note le rabbin néerlandais Edward van Voolen dans la préface de La valise bleue de la famille Samosch – comme « une partie d’un ensemble plus vaste ».
L’histoire de sa famille dispersée dans de nombreux pays ainsi que les rencontres précoces avec les proches des officiers qui ont tenté de tuer Hitler le 20 juillet, l’amitié avec le théologien protestant et opposant au nazisme Helmut Gollwitzer et l’écrivaine israélo-allemande Inge Deutschkron ont marqué le parcours de David Dambitsch. Des entretiens avec des historiens de renommée internationale ont permis d’approfondir les connaissances sur „l’héritage enfoui“ et les distorsions historiques persistantes. À l’aide de souvenirs personnels, de lettres, de photographies, d’articles de journaux, de documents d’archives et de témoignages historiques et littéraires (par exemple de Hans Sahl, Alfred Kerr, Norbert Elias ou Fritz Stern), David Dambitsch reconstitue et réfléchit de manière impressionnante dans La valise bleue de la famille Samosch à l’histoire de cinq cousins issus de deux familles juives. Il s’agissait d'“Européens modernes“ privés de leurs moyens d’existence, parfois de leur vie, qui – pour reprendre les termes d’Edward van Voolen – „avaient espéré en vain que la promesse de liberté, d’égalité et de fraternité s’appliquerait aussi à eux“.
Livres de David Dambitsch:
Livres Audio:
Il y a bien 40 ans Leïla Sebbar a fait son entrée sur la scène littéraire avec Fatima ou Les Algériennes au square, très vite suivi par Shéradzade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, le premier tome de la trilogie Shéradzade. Depuis ses débuts d’écrivaine Leïla Sebbar a exploré toutes les formes littéraires, elle a créée une œuvre vaste. Étant la fille d’une mère francaise et d’un père algérien elle explore des thèmes qui se sont imposés à elle : notamment la migration et l’exil, l’histoire coloniale algérienne, la déchirure entre deux pays et deux cultures, la recherche de sa propre voix et le refus de transmission de la langue arabe par son père. Que l’écriture soit une nécessité pour elle – alimentée par le désir de se comprendre soi-même et autrui, notre présent comme le passé – me paraît évident.
Le 24 octobre 2023 Leïla Sebbar fût l’invitée du Frankreichzentrum de la Freie Universität Berlin – représentée par Ulrike Schneider, professeure à l’Institut de philologie romane, et Marie Jacquier, collaboratrice scientifique.
La rencontre-débat était prévue pour une série de manifestations organisées en 2022 à l’occasion du 60e anniversaire des accords d’Evian par le réseau des centres universitaires de France et de la francophonie sur le thème „60 ans après la guerre d’Algérie : se souvenir, faire face, se réconcilier“. Pour des raisons personnelles, l’entretien avec Leïla Sebbar n’a pu avoir lieu qu’en octobre 2023. J’avais la chance de l’animer. Leïla Sebbar a lu deux extraits de son livre autobiographique Je ne parle pas la langue de mon père.
Livres de Leïla Sebbar (un choix) :
Les livres d’Éric Vuillard et de Sylvain Tesson, je les ai découvert il y a seulement trois, quatre ans. Je les lis tantôt en allemand, tantôt en français. Vuillard dissèque des gestes sociaux et des processus politiques, il révèle, il juge. Tesson séduit par la précision avec laquelle il décrit ses parcours à travers la haute montagne ou la steppe, et sa manière de nouer ses explorations avec notre présent. Tous deux sont des stylistes extraordinaires. Nicola Denis traduit leurs œuvres en allemand – et je ne peux qu’admirer la souplesse de ses traductions. Elle a également traduit des romans d’Olivier Guez et de Philippe Lançon, d’Abigail Assor et d’Adèle Rosenfeld, des classiques d’Honoré de Balzac, des essais et des textes sur l’art. Pour sa prestation, Nicola Denis a été récompensée en 2021 par le Prix Lémanique de la traduction et, plus récemment, par le prestigieux Prix Eugen Helmé.
Depuis bientôt 30 ans, Nicola Denis vit avec sa famille dans l’ouest de la France. Et c’est là qu’elle a écrit son premier roman, Les Tantes, publié chez Klett-Cotta en 2022. Marianne, Hanne, Irene et Hilde sont les quatre tantes souabes de la narratrice Nicola Denis. Nées dans les deux premières décennies du 20e siècle elles étaient financièrement indépendantes, elles ne se sont pas mariées et n’ont pas eu d’enfants. Avec un humour subtil et une distance critique, Nicola Denis dresse le portrait vivant de quatre femmes qui ont évolué avec le temps, qui ont profité du changement de société et parfois s’y sont opposées.
Lors d’une visite à Berlin, j’ai invité Nicola Denis à me raconter comment elle a construit ce panorama romanesque familial et comment elle conçoit son métier de traductrice littéraire.
Anne Berest a fondé une revue de théâtre avant ses débuts de romancière. Elle a tourné dans des films, a coécrit le scénario de la série télévisée à succès „Mytho“ et a travaillé avec sa sœur, l’écrivaine Claire Berest, sur l’histoire de son arrière-grand-mère Gabriële Buffet Picabia. Gabriële Buffet était compositrice et critique d’art, l’épouse du peintre Francis Picabia, la maîtresse de Marcel Duchamps, une amie proche d’Igor Stravinsky et de nombreux autres artistes de la première moitié du XXe siècle. En 1942, elle a sauvé la vie de la grand-mère d’Anne Berest en la faisant passer clandestinement dans le coffre d’une voiture dans la zone encore non occupée.
Le 6 janvier 2003, la mère d’Anne Berest a sorti d’un paquet de courrier du Nouvel An une carte sans expéditeur. D’une écriture maladroite, quelqu’un avait noté les noms de Ephraïm Emma Noémie Jacques. Rien d’autre. Il s’agissait des prénoms de ses grands-parents, de sa tante et de son oncle, assassinés à Auschwitz en 1942. Anne Berest n’a pas posé de questions à sa mère à l’époque. La carte postale a disparu dans un tiroir.
La grand-mère d’Anne Berest, Myriam, la sœur aînée de Noémie et Jacques, était la seule de sa famille à avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale. Enfant, l’auteure, née en 1979, avait souvent capté le regard absent de sa grand-mère. Pendant longtemps, elle n’a pas pu mesurer ce que signifiait être juive. Sa mère et sa grand-mère n’ont jamais dit un mot sur la vie de ses ancêtres venus de Russie, immigrés en France fin des années 1920 via la Lettonie et la Palestine. En 2018, il s’est pourtant passé quelque chose qui allait briser le silence sur les origines et le destin des membres de la famille.
Dans La carte postale, Anne Berest reconstitue et imagine la vie de ses ancêtres. Son roman est une quête initiatique qui va forger une identité.
Livres d’Anne Berest (un choix) :
Le Coup de cœur de Nicola Denis:
Économiste, auteur de théâtre et de prose, musicien et éditeur, le Sénégalais Felwine Sarr est un personnage éblouissant. Avec l’historien et politologue camerounais Achille Mbembe, il a lancé en 2016 à Dakar les „Ateliers de la pensée“, afin d’encourager les jeunes Africains et Africaines à développer de nouvelles perspectives pour le continent. L’essai Afrotopia de Sarr, paru la même année, décrit des modèles économiques alternatifs et des formes de vie communautaire. Ce petit livre, ainsi que le rapport rédigé en collaboration avec l’historienne de l’art Bénédicte Savoy sur les collections d’art des anciennes colonies africaines dans les musées français, ont fait connaître Sarr au niveau international. Le président Emmanuel Macron avait également demandé à Savoy et Sarr d’élaborer un plan pour la restitution des biens coloniaux spoliés. L’ouvrage a donné une impulsion immense au débat international sur le traitement de l’héritage colonial, car après tout, 90% du patrimoine culturel matériel se trouve en dehors du continent africain.
Depuis 2020, Felwine Sarr enseigne la philosophie africaine à la Duke University of North Carolina. Pour lui, l’héritage et le potentiel civilisationnels du continent africain se fondent aussi sur une manière de parler qui permet aux gens d’entrer en relation avec tout et tous.
Après tout Felwine Sarr écrit de la littérature. Il a publié des poèmes et en 2022 son deuxième roman, Les lieux qu’habitent mes rêves. L’action se déroule en Europe et au Sénégal. Sarr parle de la tension fondamentale entre la sédentarité et un nomadisme urbain et international. Il raconte l’affinité entre deux frères, un malheur tragique et une histoire d’amour impossible. Le roman ressemble à un rêve éveillé inspiré par la philosophie bergsonienne. Toute la richesse de mondes spirituels parallèles s’y révèle : un moine intellectuel et un initié du peuple sénégalais des Sérères – tous deux sont des personnages centraux du roman – se comprendraient bien si jamais ils avaient l’occasion de se rencontrer, car pour eux, la vie n’a d’autre but que d’entrer en contact avec le „Tout-Vivant“.
L’Institut Français et la bibliothèque municipale de Stuttgart ont invité Felwine Sarr à présenter son roman le 5 juin 2023. Cet épisode du podcast est un enregistrement abrégé de l’entretien avec l’auteur que j’ai animé et traduit.
Livres de Felwine Sarr (un choix):
Bernadette Conrad est toujours en mouvement. Aujourd’hui ici, demain là-bas. Pendant de nombreuses années, la ville de Constance a été un point fixe dans la vie de la publiciste et critique littéraire. Aujourd’hui son chez-soi, c’est Berlin.
Quand elle entame un nouveau projet – souvent motivé par la littérature et l’histoire contemporaine – Bernadette Conrad s’investit profondément dans la recherche mais elle sait aussi suivre son intuition et faire confiance à sa capacité de bien observer les hommes et les lieux.
Une sélection de ses reportages de voyage écrits pour l’hebdomadaire DIE ZEIT a été publiée sous forme de livre sous le titre Nomaden im Herzen (Nomades au cœur). En 2011 Bernadette Conrad a été la première à publier un livre biographique sur l’écrivaine américaine Paula Fox (1923-2017), redécouverte par Jonathan Frantzen. Fox, qui depuis son tout bas âge avait une vie difficile, lui enseignait qu’il fallait croire que « le salut est toujours en chemin », voire qu’on peut être sauvé à tout moment.
Was dich spaltet (Ce qui te divise) est le premier roman de Bernadette Conrad. Elle décrit, de manière précise, comment des parents cessent d’être des parents et quelle part de responsabilité ils ont dans l’aliénation et la désunion de leurs enfants. Ce faisant, elle ouvre également la voie à des questions fondamentales : existe-t-il, malgré les blessures et les déchirements, un désir insatiable de cohésion familiale ? Quel est le prix à payer pour une réconciliation familiale ? Vaut-il mieux prendre ses distances ? Peut-on bien vivre sans se réconcilier ? Dans „Ce qui te divise“, Bernadette Conrad montre de manière impressionnante à quel point les tentatives de mettre à jour les ramifications et les aiguillages de chaque biographie sont à la fois désenchantées et libératrices.
Je tiens à remercier mon amie Ruth Kinet d’avoir lu la traduction française des propos de Bernadette Conrad.
Livres de Bernadette Conrad :
La lecture des livres d’Éric Vuillard change le regard que l’on porte sur les mouvements révolutionnaires, sur les guerres et la propagande, sur la soi-disant bonne société et sur le zèle politique des dynasties financières de la grande bourgeoisie. Il raconte la force insurrectionnelle qui a conduit à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 ; dans L’ordre du jour (Prix Goncourt, 2017), il décrit une réunion secrète d’Hitler avec 24 industriels, et dans Tristesse de la terre, il suit le parcours de Buffalo Bill qui, avec ses spectacles Wild West a célébré le mythe fondateur d’un pays libre tout en traitant les Amérindiens comme des figurants sauvages. Éric Vuillard dépiste des moments historiques. Il les dissèque avec ironie, compassion et avec fermeté. Car il s’arroge clairement le droit de remettre en question la description des événements et des activités politiques, mais aussi de les juger, de manière subjective.
Sa dernière publication Une sortie honorable traite de la colonisation de l’Indochine et d’une guerre qui ne pouvait pas être gagnée. Vuillard évoque les généraux et les politiques qui ont trompé le peuple français pendant des années sur l’ampleur des pertes humaines comme sur les bénéfices exorbitants de la banque belligérante d’Indochine – et il décrit la reddition des troupes françaises le 7 mai 1954 dans la forteresse de la jungle de Dien Bien Phû. La guerre du Vietnam a été l’une des plus longues du 20e siècle.
L’image finale du livre est datée du 29 avril 1975.
« Les ventilateurs s’arrêtent. Les voitures tombent en panne. Il y a des grands cimetières de frigidaires, de grandes nécropoles de climatiseurs de des pyramides de lave-vaisselles. Tout est mort. Alors, on se rue vers les derniers bateaux, les derniers hélicoptères, les derniers avions américains. Les pilotes trient les passagers, pistolet au poing. (…)
Des milliers de gens partis sur des embarcations de fortune périront noyés. C’est terrible ces bateaux surchargés d’hommes, ces grappes humaines qui flottent au gré des vagues, ces amoncellements de corps, de paquets, de vélos, de cris, de stupeurs. Tous ces chapeaux de paille ! C’est si triste un peuple. On le divise, on le coupe de lui-même, le temps passe, et il ne peut que craindre de se retrouver, étranglé dans la nasse impitoyable d’autres intérêts qu’on lui a fait prendre. Ô Kissinger, si futé à ce qu’on raconte, le Talleyrand de la guerre froide, te voici bien ridicule avec ton sourire décontracté, ton air de tout savoir, tes lunettes si célèbres qui ne t’ont rien permis de voir. Mais ne vous inquiétez pas, on a évacué la colonie américaine et les derniers Français (…)
Il faut à tout prix voir ça, ls diplomates montant comme ils peuvent à l’échelle de corde. Les cravates happées par le vent. Les corps s’agrippant aux barreaux tandis que l’échelle s’envole. Quelle atmosphère de fin du monde, quelle débâcle ! Dans l’éspérance dérisoire d’une sortie honorable, il aura fallu trente ans, et des milliers de morts, et voici comment tout cela se termine ! Trente ans pour une telle sortie de scène. Le déshonneur eut peut-être mieux valu. »
Livres d’Éric Vuillard (un choix) :
En 2012, Mariette Navarro, autrice de théâtre et poète, a traversé l’Atlantique sur un cargo. Au bout d’un certain temps, il n’y avait plus d’oiseaux, plus de terre, plus de repères, juste les lumières qui changent. Elle est revenue avec un tas de notes, mais ce n’est que lorsque le personnage d’une capitaine a pris forme dans son esprit qu’elle a eu envie d’inventer une histoire. En 2021 parût son premier roman Ultramarins.
Un équipage de 20 matelots et officiers de marine demande à la capitaine de leur permettre une baignade en mer profonde. À son grand étonnement, elle dit oui. Sa décision va changer la vie de tous et on ne sait pas si les nageurs vont un jour se remettre du vertige existentiel que la plongée a causée ?
„Même si l’on navigue sur la mer depuis des siècles“, explique-t-elle, „il reste toujours quelque chose d’inconnu. Elle suscite des rêves, des fantasmes et des peurs“. Et des désirs. La crédibilité n’est pas un impératif narratif dans ce roman magnifique et d’une grande densité poétique.
Jean-Paul Dumas-Grillet est photographe. Des galeries et des musées exposent ses photos, la Bibliothèque nationale de France lui a acheté des œuvres pour sa collection. Il a également été employé à plusieurs reprises sur des tournages de films. Dans son premier roman Dieux les Pères, Dumas-Grillet évoque de manière ludique des scènes de cinéma, des acteurs et des metteurs en scène réels.
Le personnage principal a échoué au théâtre et sur les plateaux de tournage. Un trac excessif détruit sa carrière prometteuse d’acteur et son mariage. Bob Declerq vit avec sa petite fille en banlieue parisienne. Ce père à temps plein n’a guère d’argent, le quotidien est difficile, jusqu’à ce que tous deux emménagent chez un bon ami qui vit également avec sa fille. Les rôles sont clairement réparti: L’un apporte l’argent, l’autre s’occupe du ménage. Ils fondent „une famille d’un nouveau genre, sans attentes particulières, sans jalousie, sans exigences sexuelles“. Mais le modèle risque-t-il d’échouer quand un jour les pères retombent amoureux de femmes ? Jean-Paul Dumas-Grillet est du côté de la jeunesse pragmatique: Les filles calculent tranquillement qu’elles auraient alors deux pères, deux mères et deux mères biologiques. Convaincant. Dieux les pères : un début ludique, fort en images, très contemporain.
Mariette Navarro: Ultramarins, Quidam éditeur, Paris 2021
Jean-Paul Dumas-Grillet: Dieux les Pères, librinova, 2022
Au printemps 2016, Miléna Kartowski-Aïach avait été invitée à Berlin pour chanter des chansons yiddish lors d’une lecture de l’autrice américaine Deborah Feldman. Le joueur de Oud, Qaïs Saadi, l’accompagnait sur scène. Six mois plus tard, j’ai revue Miléna à Paris, sa ville natale. Elle venait de rentrer de Leros. Avec des femmes et des enfants yézidis réfugiés, elle avait créé une chorale pour apporter un peu de beauté à ces malheureux qui ne savaient pas combien de temps ils seraient encore retenus sur l’île. Plus tard, elle écrivit l’oratoire Leros. Un exil insulaire chez les damnés.
Miléna a suivi des cours de mise en scène théâtrale en Pologne et au Danemark, elle a étudié la philosophie de la religion et l’anthropologie. Elle joue du piano, elle compose, elle chante, elle écrit. À New York, elle a rencontré des femmes qui lui ont facilité l’accès aux sources de chansons yiddish, chantées par des femmes juives orthodoxes, jamais en public mais en petit groupe, strictement séparé du monde masculin. Ces rencontres et la découverte de chants religieux tenus secrets ont influencé sa carrière de chanteuse. De retour à Paris, Miléna a fondé une compagnie de théatre, Les Haïm, et son propre ensemble, le Hassidish Project. En 2012 elle était la première artiste chantant en yiddish invitée à l’Olympia.
Et puis, en été 2021, Miléna Kartowski-Aïach a fait un choix de vie: Elle a quitté la France pour aller vivre en Israël. Les raisons de ce choix sont multiples. L’antisémitisme latent et offensif dans son pays natal est une raison, son désir d’une vie spirituelle en est une autre.
Miléna est musicienne et poète. En Israël, des archives sonores lui sont ouvertes. Elle y traque un héritage culturel nié ou déjà effacé ailleurs, mais en tout cas maintenu fermé. Ses tentatives de trouver des notes de chansons judéo-berbères en Algérie, le pays natal de son père, ont jusqu’à présent échoué – mais elle ne lâche pas prise.
Lors d’un séjour en Israél janvier 2023, j’ai visité Miléna Kartowski-Aïach chez elle à Ein Kerem.
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